Prenons l’air !

La langue française est une plante étonnante qui use parfois joliment d’une même racine pour offrir des fleurs aux couleurs variées. Ainsi « confiner » du latin cum finis qui signifiait « les limites communes à des champs, à des territoires » réalise l’idée de forcer quelqu’un à rester dans un espace restreint alors que le nom pluriel « les confins », qui d’abord désigne une partie de terre située à l’extrémité, à la frontière d’un territoire (qui a des limites communes donc)  finit par extension à désigner « un espace éloigné ».

Il nous a semblé judicieux donc de sauter le pas et de quitter, par la lecture bien sûr, la contemplation de notre appartement pour franchir confortablement les frontières les plus lointaines à travers l’évocation des récits de voyage. Notre manière à nous de résister au corona, au rétrécissement du monde, à l’enfermement du national. Dans un monde enfermé, prenons l’air.

Quel est le mot le plus important de deux : récit ou voyage ? Demande-t-on au récit de voyage de nous procurer d’abord une pérégrination exotique ou une expérience littéraire particulière ? Mais un tel récit n’a de valeur que si les deux aventures sont associées.

Qui a lu « L’Usage du monde » le voyage jusqu’en Afghanistan de Nicolas Bouvier comprendra instantanément ce qu’apporte le voyage à l’écriture et que cette écriture irrigue nos rêves d’ailleurs. « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » Une expérience vitale, une lecture essentielle.  Une citation pour le plaisir, parlant du Belgrade de 1953 : « La ville était comme une blessure qui doit couler et puer pour guérir, et son sang robuste paraissait de taille à cicatriser n’importe quoi. Ce qu’elle pouvait déjà donner comptait plus que ce qui lui manquait encore. Si je n’étais pas parvenu à y écrire grand-chose, c’est qu’être heureux me prenait tout mon temps. D’ailleurs, nous ne sommes pas juges du temps perdu. » La métaphore vaut mieux qu’une carte postale. Pour les amoureux du Japon, voir son livre Le vide et le plein .

Autre récit exceptionnel, celui du polonais Rawicz Slavomir « A marche forcée, A pied, du cercle polaire à l’Himalaya 1941-1942 » qui nous raconte son évasion du goulag soviétique de Sibérie au Tibet. Ce récit de vie ne deviendra un récit de voyage qu’à travers le même itinéraire parcouru par Philippe Tesson en mémoire de Rawicz dans l’Axe du loup.

Rendons hommage à Luis Sepulveda, l’écrivain chilien qui n’a cessé de sillonner l’Amérique latine et qui n’a sans doute pas pu supporter notre monde confiné. Le virus l’a emporté mais il nous laisse des clés pour appréhender ce sous-continent malade de nos excès : « Dernières nouvelles du Sud ». On peut également partir à la rencontre d’un autre écrivain-voyageur anglais qui a chaussé des bottes géantes avant de s’éteindre à 48 ans. : partez avec Bruce Chatwin En Patagonie, en Australie avec Le chant des piste ou avec son essai au titre révélateur : Qu’est-ce que je fais là  Passons par le Brésil avec un beau livre : Le Brésil d’André Thevet – Les singularités de la France Antarctique.

Le voyage n’est pas – et de bien loin – l’apanage des hommes : Avec David Alexandra Neel, Ella Maillard  vous découvrirez une Asie qui ne connaissait pas encore le sens du mot « tourisme ». Mary Kingsley, qui a d’abord rêver à travers une bibliothèque avant de parcourir l’Afrique : Une Odyssée africaine Une exploratrice victorienne chez les mangeurs d’hommes 1893-1895.

Terminons par vous signaler quelques collections très riches et dont l’îlot-bouquins aime les livres : Maspero-La Découverte a édité les grands classiques de la littérature de voyage. Ainsi que Phébus qui n’édite pas que des romans. Et les éditions Chandeigne, spécialistes des  Relations de voyages et du monde lusophone dont le papier et l’impression sont de grande qualité. Parcourez notre liste en tapant Récit / Voyage…

Echappez à l’enfermement, prenez l’air, voyagez… en lisant ! Un autre moyen de prendre soin de soi et de découvrir l’autre.