D’où vient qu’à côté de la bande dessinée, on ait vu apparaître et se développer ce qu’on appelle le roman graphique ? Une réponse savante nous révèle qu’un des premiers romans estampillé de la sorte serait Un pacte avec le diable du théoricien de la Bande dessinée Will Eisner, en 1978. Le terme a cependant mis un certain temps à s’imposer mais il est maintenant incontournable et a gagné sa place dans toutes les grandes librairies.
Quand la BD se fait mousser, les bulles éclatent et deviennent… un roman graphique !
Par sa forme, le roman graphique s’éloigne du format BD pour se présenter comme un livre. Il déconstruit la planche et s’affranchit des normes : utilisant une grande liberté de la page, s’affranchissant allègrement de la vignette. Jouant de la couleur ou du noir et blanc…
Le roman graphique se différencie de la production de BD qui fait la part belle au personnage (Titeuf, Astérix, Gaston…) et aux séries (inépuisables puisque la mort d’un dessinateur n’interrompt pas la vie du héros).
Le roman graphique, lui, donne une place prépondérante à l’auteur et préfère le titre unique, le « one shot ». Le roman graphique veut retrouver le souffle du roman, veut posséder une ambition narrative, littéraire. Il ne se voit pas seulement comme une distraction mais comme un livre capable de réflexion, de complexité.
La prolifération du roman graphique permet maintenant un foisonnement de sujets. Mais l’autobiographie fut d’abord son genre privilégié. On se souvient du beau livre de Marjane Satrapi Persépolis. Il peut y avoir de l’humour, de l’aventure mais c’est le récit de vie qui est mis en avant comme dans L’Arabe du futur, une jeunesse au Moyen-Orient de Riad Sattouf.
Depuis on voit enfler le roman graphique de reportage, voir Uriel Samuel Andrew de Will Argunas sur le suicide des vétérans d’Irak et d’Afghanistan ou le roman biographique comme Le Phoolan Devi de Claire Fauvel sur la triste et aventureuse vie de la célèbre cheffe des bandits, indienne.
Le 8ème art s’octroie des étoiles
Sans doute y a-t-il dans cette volonté de créer une nouvelle appellation contrôlée de la BD un souci commercial, une volonté d’élargir le public de la BD, en lui offrant des albums à forte revendication esthétique. La volonté d’offrir aussi aux auteurs une valorisation de leur travail, eux qui sont les laissés-pour-compte de la création, en tous cas les moins bien payés.
L’appellation serait une manière de légitimer la BD, trop soumise au terme réducteur de « comic books». Le roman graphique est peut-être surtout une manière de signifier à tous que la BD est une littérature comme une autre.
Yves Livigni